Vigilance météo
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Quand la météo écrit l'Histoire : la Révolution française

Premier volet de ce dossier "Quand la météo écrit l'Histoire", nous allons voir ici comment des phénomènes météorologiques remarquables ont marqué les populations de France, du nord surtout, les mois qui ont précédé la Révolution française. 
Ce ne sont pas ces phénomènes météorologiques qui sont la cause la Révolution française bien sûr, mais ceux-ci ont été des éléments aggravants et peut-être déclencheurs.

Retour dans le passé sur une tragédie en deux actes : le terrible orage du 13 juillet 1788 et l'hiver glacial de 1788-1789. Voici leurs histoires.

Peinture de Philippe-Jacques de Loutherbourg des orages de 1788

Contexte politico-historique de l'époque

En 1788, le pouvoir en France repose sur le modèle d'une monarchie absolue de droit divin : le roi, Louis XVI, représentant de Dieu sur Terre, est « délié des lois » tout en devant respecter les « lois fondamentales du Royaume ». Il est le garant de la sécurité, de la justice et de la foi de ses sujets.

La société de l'époque se divise en trois ordres hiérarchisés : le clergé, la noblesse et le tiers état, le "peuple", qui représente à lui seul 97 % de la population.
Le poids des impôts repose exclusivement sur cette dernière catégorie qui doit notamment verser des impôts auprès des deux autres ordres.

On assiste aussi à l'essor de nouvelles catégories sociales dans les villes et dans les gros bourgs : bourgeoisie marchande ou financière, qui profite de l’enrichissement global et, pour une partie d'entre elles, des grandes spéculations boursières sous Louis XVI, des laboureurs, des paysans riches qui peuvent offrir à leurs enfants une éducation, et d'autre part une bourgeoisie de fonctionnaires et d'hommes de loi qui aspire à jouer un rôle politique. Cependant, face à cette concurrence, la noblesse réimprime le principe de la supériorité de la naissance sur la fortune et l'instruction : c’est la réaction seigneuriale et nobiliaire.

Les seigneurs cherchent aussi à optimiser les revenus tirés de l'exploitation de leurs terres et remettent en vigueur des privilèges comme l'exploitation exclusive des communaux, avec pour effet d'en priver et d'appauvrir les paysans non propriétaires.

Par ailleurs, une crise financière due à la participation de la France à la guerre d'indépendance des États-Unis, oblige l'État à envisager une nouvelle levée d'impôt et pour ce faire à convoquer les états généraux : ce sera dans ce contexte de tensions, l’événement déclencheur de la Révolution française. (source : Wikipedia).


Acte I : le terrible orage du 13 juillet 1788

Le printemps 1788 avait été préoccupant pour les paysans cette année-là, la sécheresse permanente donnant une inquiétude grandissante à ces derniers, surtout ceux qui ne sont pas propriétaires de leurs terres et qui ont déjà par temps normal, peine à s'en sortir. La chaleur a été précoce cet été-là, le seuil des 25°C ayant déjà été dépassé en fin avril. Les chaleurs des mois d'été 1788 furent décrits comme "excessives et presque insupportables".
De plus depuis 1783, les éléments se sont déchaînés : orages estivaux, vagues de froid hivernales n'ont rien fait pour arranger les choses. Mais ce qu'il va se passer ce 13 juillet va dépasser l'entendement.

Il est 5h30 du matin environ quand l'orage prend naissance, sous un temps excessivement chaud pour la saison, déjà le matin, des sources indiquent 27 degrés Réaumur dans la région parisienne, ce qui correspond à 33°C environ (avec toutes les réserves d'usage concernant la justesse de ces valeurs). L'orage naît sur la côte française, près de l'île d'Oléron. Il est encore modéré et remonte vers le Nord-Nord-Est à la vitesse moyenne de 65 km/h. C'est dans les environs de Tours qu'il commence à être vraiment intense. C'est là qu'il se sépare en deux branches d’extrême activité, qui resteront parallèles, à environ 40 kilomètres l'une de l'autre. Il est 6h30. L'orage continue à se déplacer vers le NNE: à 7h30 il est à Orléans, à 8h30, à Paris, à 9h15 à Beauvais. Il atteint Lille à 11h, ensuite il continue son chemin vers Courtrai (12h30), Gand et Alost, villes atteintes vers 13h, en s'affaiblissant. Finalement l'orage meurt aux Pays-Bas vers 14h30.

L'orage n'aura duré que 30 minutes sur les régions concernées et l'épisode de grêle de 5 à 10 minutes, mais ce sera suffisant pour causer des dégâts qui auront été considérables, causés par trois facteurs :

- le vent, qui a soufflé en rafales à plus de 150 km/h. Il est à l'origine d’arbres déracinés, de flèches d'église tombées au sol (parfois en plaine messe, comme à Gallardon, des moulins détruits, de toitures envolées.
- la grêle, dont on rapporte des diamètres de grêlons de 8, voire 10 cm ! Celle-ci a brisé des vitres et des toits (comme aux châteaux de Rambouillet et de Vincennes, particulièrement touchés), tué des personnes et bon nombre de têtes de bétail.
- la foudre, enfin, l'orage ayant été particulièrement électrique.

Les pertes humaines auraient pu être plus importantes encore ! Heureusement, le 13 juillet 1788 était un dimanche, et la plupart des paysans ne travaillaient pas aux champs, mais se préparaient pour la messe dominicale. 
Mais les dégâts aux récoltes sont colossaux : le vent et la grêle a littéralement anéanti toutes les cultures et décimé le bétail. Les deux bandes d'intense activité sont passées sur des villes importantes et leurs régions (voir ci-dessus). Très vite il y aura pénurie de denrées alimentaires dans ces villes, il faudra amener celles-ci depuis des campagnes distantes, qui déjà vu les conditions climatiques de sécheresse et de chaleur ne sont pas vraiment en excès, que du contraire : les prix explosent : le prix du blé va littéralement doubler ! La disette s'installe...

On cite qu'à Orléans, le tapis de glace mettra 3 jours à fondre.
Le roi lui-même fut victime de cet orage et lors d'un trajet près de Rambouillet, il dut se mettre à l'abri précipitamment. On raconte que son cocher, moins chanceux, aurait été tué.


L’orage, par Henry Monnier et Pierre-Jean de Béranger.

Explication météorologique du phénomène :

La température particulièrement élevée du matin du 13 juillet est sans doute consécutive à une masse d'air subtropicale très chaude et très humide (sans doute consécutif à un "Spanish Plume") qui a donné naissance à un derecho. (Un derecho est un type de phénomène météorologique rare de convection profonde extratropicale qui se déplace rapidement et qui produit de très fortes rafales descendantes causant d'importants dommages généralisés. Il se classe dans la catégorie des systèmes convectifs de méso-échelle (MCS). (source Wikipedia et Keraunos)
Au sein de ce système convectif de méso-échelle préfrontal (MCS), se sont vraisemblablement constituées deux supercellules qui ont été à l'origine des "couloirs" de dégâts dont on peut suivre le trajet sur la carte ci-dessus. Les dégâts dus au vent semblent être limités à ces rafales descendantes (downburst en anglais), même si certains écrits font état de "tourbillons" ce qui pourrait quand même indiquer, avec les réserves d'usage, la présence éventuelle de rares tornades isolées.


Acte II : l'hiver glacial 1788-1789

Après le terrible orage de grêle du 13 juillet 1788, les Français ne sont pas au bout de leurs peines. L'hiver 1787-1788 avait été très doux, mais l'hiver 1788-1789 sera tout autre. L'arrière-saison avait plutôt été douce, après les chaleurs estivales. La douceur est d'ailleurs encore présente en ce début novembre 1788. Mais, dès le milieu du mois, les choses vont changer...

Le froid s'installe d'abord progressivement. Mais il va nettement s'accentuer à partir du début décembre et sera de plus en plus rude jusqu'à la Saint-Sylvestre ! Ce jour, le thermomètre descend à - 21,8°C à Paris et, dans cette même ville, la Seine gèle pendant 56 jours consécutifs, jusqu'au 20 janvier.

A Mulhouse, le 19 décembre, on atteint - 31°C environ. Le 7 janvier 1789, il fait encore - 15° à Lentilly (Rhône) et le froid s'accentue à nouveau jusque vers le 15 janvier ; dans la plupart des localités, c'est la nuit du 9 au 10 janvier qui aura été la plus froide.

En certains endroits, la terre gèle jusqu'à 75 cm de profondeur et, dans la plupart des paroisses, on a du mal à enterrer les morts dans les cimetières. Le vin gèle dans les caves de même que les pommes de terre et les fruits.

Toutes les rivières sont prises par les glaces et on traverse le Rhin, le Rhône ou la Seine avec des charrettes chargées. La Garonne est gelée à Toulouse, comme le Rhône et la Saône à Lyon, comme le lac Léman. A Marseille, les bords du bassin du Vieux Port sont couverts de glace. Les ports de la Manche sont bloqués et un témoin décrit des glaces flottantes serrées interdisant toute navigation entre la baie de Caen et le Cap de la Hève, ainsi qu'entre Calais et Douvres. Le gel des rivières entraîne l'arrêt des moulins. Les pauvres, qui n'ont pas de réserves de farine, sont réduits à la misère et le prix du pain ne fait qu'augmenter.

Dans les vergers, les arbres fruitiers périssent en grande quantité tout comme les noyers, les châtaigniers et, dans le midi méditerranéen, les oliviers. Certains arbres éclatent littéralement sous l'effet du gel intense.

Mais on n'est pas encore au bout de nos peines : le dégel apporte lui aussi son lot de catastrophes : à la débâcle, beaucoup de ponts et de moulins sont emportés. A Orléans, les glaces craquent le 18 janvier et s’amoncellent jusqu'au parapet des ponts et au sommet des levées ; la levée cédant à son tour, les glaces sont entraînées dans les champs où elles ravagent terres et vignes. Le même phénomène se produit à Tours le 22 janvier.

La plupart des habitants des villes n'ont plus de bois pour se chauffer, tant il est rare et cher puisque son transport, fluvial, est arrêté par les glaces.
Un peu partout, ont fait des feux dans les rues pour réchauffer les malheureux. Tout manque, des soupes populaires sont organisées par de bonnes âmes.
Des comités de bienfaisance s'organisent, les grands seigneurs, la famille royale distribuent des aumônes. Louis XVI visite les malheureux et distribue de l'argent.
Mais que faire quand le prix du pain a triplé, et celui du vin doublé ? A cause de la  mauvaise récolte de 1788 dont on parlait ci-dessus, le blé, n'arrête pas d'augmenter, même après l'hiver, encore et encore, jusqu'au 14 juillet. 
Le peuple a faim et la Révolution éclate.

Louis XVI secourant des malheureux pendant l'hiver de 1788, par Louis Hersent

Epilogue

Un malheur n'arrive jamais seul, dit le dicton. Cela peut tout à fait illustrer cet article.

L'orage de 1788, et l'hiver qui a suivi, ont véritablement joué un rôle de « gâchette » dans le déclenchement de la Révolution française, même si les origines en sont évidemment beaucoup plus profondes.

Après l'hiver, les émeutes gagnent toute la France, en ville comme à la campagne. Elles se radicalisent dès février 1789.
La noblesse et le clergé sont désormais la cible sur laquelle se focalise la colère du peuple. La suite, on la connait...

Et si la cause de ces événements climatiques extrêmes était... un volcan ?

Le 8 juin 1783, soit 6 ans avant la Révolution, le volcan Laki entre en éruption en Islande.  Pendant plusieurs mois, il y aura des éruptions répétées jusqu'en octobre, qui s'atténueront alors pour enfin cesser en février 1784. En fait, ce qu'on appelle l'éruption du Laki, n'est pas l'oeuvre d'un seuil volcan mais de 115 cratères volcaniques s'étendant sur près de 27 kilomètres de longueur le long d'une fissure volcanique.
Les quantités de lave, mais surtout de gaz rejetés dans l'atmosphère durant ce laps de temps vont être phénoménales. Et l’événement relativement récent du Eyjafjallajökull en avril 2010, qui avait cloué au sol bon nombre d'avions en Europe, est là pour nous rappeler que des événements volcaniques islandais peuvent rapidement impacter l'Europe. En 2010 ce furent surtout les cendres volcaniques. En 1783, ce furent les gaz soufrés, le dioxyde de soufre principalement et fluorés. On estime que le Laki libéra en deux jours autant de gaz que toute l’industrie européenne de l'époque en un an.

Vue de l'intérieur de la fissure volcanique du Laki.
Photo : Wikipedia

Déjà en Islande c'est la catastrophe les gaz et les pluies acides qui vont en découler vont avoir un rôle funeste : 4/5 des moutons de l'île périront. S'en suivra une famine qui décimera 1/5 de la population insulaire.
Mais l'Europe va aussi être touché par les relents volcaniques : le nuage soufré attendra l'Europe dans les jours qui vont suivre. Et il y a de quoi paniquer ! C'est un brouillard intense, malodorant, prenant parfois une couleur rougeâtre qui s'installe durablement sur le continent européen. D'après les registres paroissiaux, on enregistrera une surmortalité d'un tiers supérieur à la normale les mois qui vont suivre.

Un malheur n'arrivant jamais seul, une autre gigantesque éruption a eu lieu au Japon en ce début mai 1783, qui va, elle aussi durer plusieurs mois. Les deux événements vont, de concert, avoir un effet sur le climat mondial des prochaines années. En Europe, l'effet se fait sentir dès l'hiver suivant (après un été sous des brumes acides dont nous avons parlé ci-dessus) : l'hiver 1783-1784 est très rude en Europe : comme durant l'hiver 1788-1789, les fleuves sont pris dans la glace et la débâcle sera, ici aussi catastrophique.

La France connut ensuite une suite de situations météorologiques extrêmes avec une moisson exceptionnelle en 1785 provoquant une chute des prix des produits agricoles et une pauvreté dans les campagnes, mais aussi d'épisodes de sécheresse, de mauvais hivers ou étés, dont de très violents orages de grêle... comme en juillet 1788.

Bien sûr l'éruption du Laki ne peut pas tout expliquer, mais le chaos du climat les 5 ans qui ont suivi son éruption est - au moins - causé en partie par les conséquences de cet épisode volcanique majeur...


La Prise de la Bastille, par Jean-Pierre Houël (1789)

Sources :

- Météo, question de temps, René Chaboud, éditions Nathan
- Keraunos : Les violents orages de grêle du 13 juillet 1788
- Wikipedia
- La France agricole
- Mémoires sur les grandes gelées et leurs effets, abbé Théodore Augustin Mann
- Les actes et mentions insolites des registres d'Etat Civil, l'orage de 1788
- Meteo-France : un orage 
pré-révolutionnaire
- Herodote.net : Eruption dramatique du Laki
- Académie de médecine française :  les brouillards du Laki en 1783 et la crise sanitaire en Europe
 

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