Climat d'antan : la canicule de 1911, la grande mystérieuse.
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- Publication : lundi 11 août 2025 06:00
- Écrit par : Robert Vilmos
Préambule
Dans le cadre de notre rubrique « Le climat d'antan », nous allons réanalyser en détail des épisodes météorologiques anciens et remarquables, en essayant d'expliquer en détail les causes et conséquences de ces épisodes, à raison d'une analyse par mois.
Deuxième volet de la série : la canicule de 1911, la grande mystérieuse.
À noter que toutes les valeurs (température, insolation, etc.) sont homogénéisées et donc comparables aux observations d’aujourd’hui.
Introduction
On n’entend plus parler souvent de la vague de chaleur de 1911.
Pourtant, quand on regarde les graphiques de MétéoBelgique décrivant les vagues de chaleur en Belgique depuis 1901, on voit que 1911 occupe une place d’honneur et rivalise avec sa sœur : 1976. On peut vraiment parler de sœur tellement que les similitudes avec 1976 sont grandes. En premier lieu, tout comme en 1976, cette vague de chaleur a été accompagnée d’une grande sécheresse. En second lieu, c’est la longueur du temps estival qui est presque pareille à celle de 1976.
En 1976, le temps est resté très estival et très ensoleillé, presque sans interruption, entre le 6 juin et 26 août. En 1911, la fête a commencé le 5 juillet et s’est poursuivie jusqu’au 13 septembre. Les seules différences, donc, résident dans le fait que la chaleur de 1911 a été plus tardive et s’est étendue sur une période un brin moins longue. Nous verrons plus loin qu’il y aussi quelques autres petites différences. Mais parlons d’abord des ressemblances.
La plus flagrante réside certainement dans la situation atmosphérique. En 1911 comme en 1976, nous avons affaire à un anticyclone des Açores fort développé, qui envoie continuellement ses crêtes vers l’Europe, sous la forme de petits anticyclones qui finissent par se détacher en se dirigeant vers la Russie ou la Scandinavie.
Comme le mouvement de ces cellules est de sud-ouest à nord-est, les arrivées d’air plus frais lors du remplacement des cellules (vent tournant temporairement au nord-ouest ou au nord) sont généralement brèves et peu marquées. En d’autres termes, le retour de la chaleur, même après une longue période chaude précédente, est généralement rapide.
Un autre point commun entre 1911 et 1976 est le fait que le côté extrême de la canicule n’apparaît pas vraiment dans les moyennes mensuelles. En effet dans les deux cas, le cœur de la canicule se trouve à cheval sur deux mois d’été. En plus de cela, même si la plupart des interruptions entre les périodes de canicule sont faibles voire imperceptibles, quelques brefs épisodes froids parviennent à s’imposer malgré tout et à littéralement « casser » les moyennes.
De 1976, on se souvient encore des jours très froids qui ont émaillé le début du mois de juin, avec un minimum de 4,6°C à Uccle le 5 juin et encore du gel à Dourbes (–0,1°C) et à Rochefort (–1,6°C). Ensuite, du temps fort frais s’est encore manifesté ponctuellement autour du 21 juillet et autour des 31 juillet et 1er août.
En 1911, une température minimale de 5,3°C a été observée même un 4 juillet, l’une des valeurs les plus basses jamais relevées en juillet à Uccle. En Ardenne pendant ce temps, on se rapprochait du gel avec des minima de 0 à 2°C. Cette nuit froide faisait d’ailleurs suite à une période généralement fraîche en début du mois, et l’une des seules où il est tombé un peu d’eau. Des coups de fraîcheur de moindre amplitude ont également été observés à la mi-juillet, à la mi-août et à la toute fin du mois d’août. Sinon, le temps chaud s’est à peine atténué lors de la relève d’un ancien noyau anticyclonique par un nouveau.

Émile Claus – « Ondergaande zon » (1911)
Replaçons à présent la canicule de 1911 dans son contexte historique.
Le Climat de la Belgique au XIXe siècle
Le climat dit « maritime » de la Belgique portait bien son nom à l’époque. Le climat était vraiment maritime, avec ses hivers relativement doux, ses étés frais et ses pluies tout au long de l’année. Pendant la mauvaise saison, les grandes tempêtes étaient fréquentes. Ce n’est pas pour rien qu’Émile Verhaeren écrivait :
« Sur la bruyère longue infiniment,
« Voici le vent cornant Novembre ;
« Sur la bruyère, infiniment,
« Voici le vent
« Qui se déchire et se démembre,
« En souffles lourds, battant les bourgs ;
« Voici le vent,
« Le vent sauvage de Novembre. »
Un hiver sur dix, environ, était rude. Certains d’entre eux appartenaient même aux hivers légendaires du 19e siècle, avec neige et gelées intenses et persistantes. Mais le plus souvent, il pleuvait et ventait en hiver.
En été, il pleuvait aussi et le temps était frais. C’est juste qu’il ventait un peu moins. Les exceptions sèches et ensoleillées étaient moins fréquentes encore qu’en hiver. Les périodes de canicule existaient certes déjà, mais elles étaient presque toujours courtes, voire ponctuelles. De longs étés chauds n’existaient pas encore. La circulation zonale d’ouest était bien plus constante que ce qu’elle allait devenir le siècle d’après.
Le réchauffement climatique n’avait pas encore eu lieu. Au niveau mondial, il y avait même une très légère baisse des températures dans le courant du 19e siècle et au début du 20e siècle.
Source : CLIMAT.BE
En Belgique par contre, une lente hausse était perceptible dès la fin du 19e siècle.

Source : CLIMAT.BE
L’urbanisation croissante du sud de Bruxelles n’y était peut-être pas étrangère, mais il n’y avait pas que cela. Le climat de la Belgique était en train de changer à la fin du 19e siècle. La circulation zonale perdait en importance et les circulations de blocage devenaient (un peu) plus fréquentes et marquées. Cela se remarquait surtout en été, où les pointes de chaleur se faisaient plus fortes et plus nombreuses.
Des périodes de beau temps estival plus longues, avec à la clé des températures moyennes plus élevées, commençaient également à se manifester, comme en 1900 et en 1904. Mais une longue canicule comme celle de 1911 était un phénomène entièrement nouveau.
Etude comparative des épisodes caniculaires en Belgique
Avant de procéder à une étude comparative des différents épisodes caniculaires en Belgique par rapport à celui de 1911, commençons d’abord par préciser la méthodologie utilisée.
Comme tout le monde le sait, les méthodes d’observation ont fort évolué au cours du temps. Si l’on peut considérer les thermomètres de 1911 comme déjà fiables, il n’en est pas autant pour les abris utilisés. En effet, en 1911, aucune norme n’était encore définie pour les abris et on peut affirmer en gros que trois types d’abris ont été utilisés sur le réseau thermométrique belge, ce qui a entraîné parfois des différences notables au niveau des enregistrements. Ces trois types d’abris sont les suivants :
- L’abri fermé de type Stevenson
- L’abri ouvert inspiré de l’abri du type « Montsouris » de Paris
- Un petit abri à double toit en zinc, monté sur un piquet
Le premier abri (fermé) est déjà fort proche des abris conformes utilisés au cours des années récentes. Les températures mesurées dans cet abri peuvent être reprises telles quelles, car comparables aux données de nos jours.
Le second abri (ouvert) surestime les maxima et sous-estime légèrement les minima. Par chance, des observations simultanées avec les deux abris ont été pratiquées à Uccle pendant de très longues années, ce qui a permis à l’IRM de développer un correctif pour rendre les données comparables aux données d’aujourd’hui. Un nouveau correctif, plus précis, a d’ailleurs été récemment mis au point par l’IRM. C’est ce correctif-là qui est utilisé dans le présent document pour homogénéiser les données.
En avant-plan, l’abri ouvert, en arrière-plan, deux abris fermés. Source : IRM
Le troisième abri (dont nous ne disposons pas de photos) pose malheureusement de gros problèmes. Il s’agit d’un abri très bon marché, dont on a largement sous-estimé l’absorption de la chaleur par le métal, malgré le fait qu’il était peint en blanc. Un seul exemple suffit pour démontrer les mesures aberrantes dans ce type d’abri : le 28 juillet 1911, on notait un maximum de 39,5°C à la station météo de Bruxelles Saint-Josse (actuel Botanique), alors que la température, même en milieu urbain, ne pouvait pas dépasser les 35°C ce jour-là en région bruxelloise. De ce fait, toutes les données provenant de ce type d’abri ont dû être éliminées de la présente analyse.
Un autre problème qui se pose, c’est la rareté des métadonnées à cette époque (alors que paradoxalement, on dispose de nettement plus de métadonnées au 19e siècle). En 1911 par contre, nous n’avons de renseignements précis sur le type d’abri que pour les stations d’Uccle et de Denée-Maredsous. Mais pour certaines stations, le problème a pu être résolu.
En effet, une analyse synchronique (comparaison de différentes stations à une même époque) et une analyse diachronique (comparaison d’une même station, ou d’une station proche à différentes époques) ont permis de déterminer le type d’abri utilisé avec une raisonnable certitude. C’est ainsi que pour Liège (relevés effectué à Cointe à cette époque-là) et pour Arlon (relevés effectués un peu à l’est de la ville), il s’agit bien d’un abri fermé. Ces données sont donc immédiatement utilisables.
Pour Ostende (relevés faits à l’Orphelinat de Mariakerke), Furnes, Uccle et Maaseik, il s’agit d’un abri ouvert. Ces données ont donc été homogénéisées avec le correctif utilisé par l’IRM. Les stations néerlandaises de Vlissingen et de Maastricht ont été assez récemment (2016) homogénéisées par les soins du KNMI. Ces données sont donc également comparables à celles d’aujourd’hui.
À présent que cet aspect des choses est éclairci, nous pouvons passer à l’étude comparative proprement dite.
En climatologie, pour comparer des phénomènes qui ont une certaine durée dans le temps, on utilise souvent des périodes de 30 jours. Bien sûr, lorsque cette période de 30 jours (avec phénomènes extrêmes) tombe pile poil dans un mois calendrier, cela peut pulvériser tous les records. Ce fut le cas en juillet 2006 et avril 2007 pour la chaleur, en février 1956 pour le froid ou encore en avril 2007 pour la sécheresse. Mais la période de 30 jours la plus pluvieuse du 20e siècle, avec 241,3 mm tombés à Uccle entre le 21 juin et 20 juillet 1980, n’apparaît que peu dans les statistiques mensuelles.
Il en est de même avec les épisodes de chaleur extrême de 1911 et 1976, qui n’apparaissent pas (ou peu) dans les statistiques mensuelles.
Alors, pour se faire une idée objective de l’intensité de la chaleur en 1911, nous allons comparer la période de 30 jours la plus chaude de cette année-là avec les périodes de 30 jours les plus chaudes d’autres années ou d’autres stations, où l’été a aussi été caniculaire.
Aspect diachronique
Si l’on fait un classement des périodes les plus chaudes à Uccle, 1911 occupe une fière troisième place, après 1976 et 2006, et devant 2018. Voyons cela en chiffres :

Notons qu’en 2019, où le thermomètre affichait 39,7°C le 25 juillet à Uccle, la période de 30 jours la plus chaude, du 11/07 au 09/08/2019, n’a atteint « que » 20,2°C (min 15,8°C/max 24,8°C), ceci parce que la période chaude était discontinue et compensée par des épisodes frais. La même remarque vaut pour les étés de 1921 et de 1947, où des fraîcheurs intermittentes empêchaient les périodes de 30 jours d’être très chaudes.
En dehors d’Uccle, nous avons encore deux autres longues séries homogénéisées, certes en provenance des Pays-Bas, mais situées non loin des frontières de notre pays. La première, Vlissingen, est représentative, aussi, pour notre région côtière ; la seconde, Maastricht, est représentative, aussi, pour la Campine belge, voire le pays de Liège.
À Vlissingen, 1911 arrive même en 2e place pour les périodes de 30 jours les plus chaudes, ex-aequo avec 2018.

À Maastricht, les étés récents sont plus chauds et 1911 n’arrive qu’en 8e position. Mais là aussi, toutes les valeurs se tiennent dans un mouchoir de poche.

Une autre méthode, pour évaluer les phénomènes caniculaires, est de considérer les vagues de chaleur officielles. Rappelons qu’une vague de chaleur officielle compte au moins 5 jours consécutifs où la température maximale dépasse 25°C, dont au moins trois jours connaissent une température maximale supérieure à 30°C.
Voir notre article : Les vagues de chaleur en Belgique depuis 1901
Une vague de chaleur se définit par sa durée (en jours), par son poids (somme des degrés-jours avec 20°C comme moyenne journalière de référence) et par son intensité (poids/durée). Dans le cadre de la présente étude, c’est surtout le poids qui nous intéresse car c’est un bon indicateur de la « pénibilité » d’une vague de chaleur. Si celle-ci est à la fois longue et intense, le poids devient rapidement important, ce qui signifie que les gens souffrent beaucoup
Avec cette méthode de calcul-là, 1911 occupe également la 3e place à Uccle (voir tableau ci-dessous).

À noter qu’à peu de choses près, nous retrouvons ici les mêmes années. Et une fois encore, 2019 ne fait pas le « poids ». La vague de chaleur n’a duré que 5 jours. Par contre son intensité, de 6,94, est énorme. La réunion de ces deux paramètres opposés donne cependant à la vague de chaleur un poids très moyen, de 34,7. Mais cela n’enlève rien au fait que les 39,7°C du 25 juillet, à Uccle, sont historiques.
Aspect synchrone
Ici, nous n’allons plus comparer 1911 à d’autres années, mais comparer la même vague de chaleur à différentes stations météorologiques. Et pour ce faire, nous allons reprendre la période de 30 jours qui va du 20 juillet au 18 août 1911.
Malheureusement, pour les autres stations du réseau belge, nous ne disposons pas de moyennes réelles de la température, seulement des valeurs médianes entre le minimum et le maximum. Toutefois, la différence entre la médiane et la moyenne réelle est faible et ne dépasse généralement pas 0,5°C. Nous pouvons donc reprendre la médiane pour la comparaison d’Uccle avec les autres stations du réseau belge (ou néerlandais ou allemand).

On peut déduire de ce tableau que la période de 30 jours très chaude a concerné l’ensemble du pays, avec les différences régionales habituelles entre la région côtière, le centre du pays, la Campine et le sud du pays. C’est le cas aussi pour presque toutes les autres canicules que notre pays a subies, à l’exception de celle de 2003, qui a été plus intense sur le sud du pays que sur le nord.
Ce qui est frappant aussi, c’est aussi la longueur totale de la période chaude de 1911, qui va bien au-delà de la période de 30 jours que nous avons considérée ici, et qui s’étend presque sans interruption du 5 juillet au 13 septembre 1911. C’est tout à fait hors normes pour l’époque. Il faudra d’ailleurs attendre 1976 pour trouver quelque chose de comparable. De nos jours, évidemment, de tels étés deviennent de plus en plus fréquents.
On peut donc en conclure que l’été de 1911 n’a été qu’un brin moins chaud que les plus chauds des étés actuels. Ceci pour le côté objectif et mesurable. Passons à présent à un volet plus subjectif, celui du ressenti des gens, et à ce niveau-là, on peut affirmer que l’été 1911 a été l’un des pires que nos régions n’ont jamais connus.
La vague de chaleur de 1911 au niveau du ressenti
Plusieurs choses sont à prendre en compte. En premier lieu, les « gens du nord » que nous sommes n’avaient pas l’habitude d’une telle chaleur à l’époque et n’y étaient pas du tout préparés. La chaleur de 1911 était inédite et pulvérisait tous les records. La dernière longue période chaude remontait à 1852 et ne couvrait qu’un mois, en l’occurrence juillet. En plus, les températures de 1852 étaient moins élevées.
« Dès les premières heures de la matinée – écrit-on dans la presse de 1911 –, un soleil ardent rendait l’atmosphère suffocante. À l’horizon de Bruxelles, au-dessus de la campagne, on voyait flotter cette brume aux tons plombés qui présage les journées torrides.
« En ville, pas un souffle de vent. Dans les rues, on étouffe. Sur les places, la chaleur est encore plus insupportable par suite de l’intense réverbération des rayons solaires sur le pavé. »
Journal Le Soir, 10 août 1911
« Six personnes frappées d’insolation ont été admises en traitement hier à l’hôpital Saint-Pierre. Parmi elles, il y a un cavalier du 1er régiment des guides, Paul Wiland, qui, atteint d’un coup de soleil, s’était affaissé sans connaissance sur le pavé, rue Blaes. Le malade, dont l’état est grave, a cependant pu être transporté à l’hôpital militaire. »
Journal Le Soir, 13 août 1911
Le Belge de l’époque n’avait vraiment pas l’habitude de ça. Il faut encore ajouter à cela que le code vestimentaire de 1911 était tout autre que celui d’aujourd’hui.
La Dernière Heure, « Chronique de la mode », édition du 19 juillet 1911
Et les messieurs de ce temps-là n’étaient pas moins vêtus. Les 34°C d’un 9 et d’un 10 août 1911 étaient donc beaucoup plus pénibles que les 34°C, par exemple, d’un 18 juillet 2022, voire même que les 38°C du lendemain.
Mais il y a encore bien pire. La situation sanitaire était loin d’être celle d’aujourd’hui.
« La gastro-entérite infantile a été l’affection dominante de l’été 1911. Elle s’est produite partout, mais elle a exercé ses ravages surtout dans cette région des Flandres, où meurent en tout temps des milliers d’enfants par suite de l’alimentation défectueuse des nourrissons. Il faut remonter très loin pour trouver une année aussi néfaste pour les enfants en bas âge. »
Rapport des Commissions médicales provinciales sur leurs travaux pendant l’année 1911, publié en 1913.
Il faut savoir qu’à l’époque en Belgique, environ 140 nourrissons sur 1000 mouraient chaque année en bas âge (moins d’un an). En 1911, ce nombre s’élevait à 180. Mais les adultes aussi étaient touchés par une surmortalité.
C’est ici que le poids d’une vague de chaleur prend toute son importance. En 1921, les températures étaient extrêmes aussi, mais les périodes chaudes étaient moins longues et il n’y avait pas d’incidence significative sur la mortalité. En 1911 par contre, cette incidence était très marquée, principalement en août et en septembre, avec près de 40-50% de décès en plus.
L’été 1911, à l’image de 1976, a aussi été très sec (3,6 mm d’eau tombée à Uccle entre le 4 juillet et le 19 août), mais à la différence de 1976, en 1911 on manquait cruellement d’eau potable.
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Les files d’attente pour obtenir de l’eau pouvaient devenir très longues
« Droge zomer in 1911, Borgerhout »
L’insuffisance d’eau, les logements surchauffés en ville et le code vestimentaire très strict faisaient en sorte que le degré de pénibilité de la canicule de 1911 était énorme. Et à la campagne, avec les travaux lourds à effectuer sous un soleil de plomb, on n’était pas mieux loti.
Carte postale humoristique de 1911
Ajoutons enfin que les feux de forêt étaient aussi un problème récurrent en 1911. On signalait des incendies notamment dans les Hautes-Fagnes et dans l’Hertogenvald, où l’on parle de près de 4.000 hectares partis en fumée. À Bouge, près de Namur, le feu s’était déclaré dans un taillis. Près de Flémalle, le passage d’un train avait suffi pour déclencher un incendie dans les broussailles desséchées bordant la voie ferrée. Ce feu s’était ensuite transmis à un bois contigu, avec dix hectares de taillis partis en fumée. Enfin parfois, on rencontrait le feu même là où l’on ne s’y attendait pas :
« De nombreux promeneurs qui s’étaient rendus, vendredi après-midi, au Bois de la Cambre [à Bruxelles] se sont aperçus soudain que l’herbe de la berge de l’île Robinson venait de prendre feu. En quelques secondes, les flammes s’étaient rapidement développées et menaçaient de se communiquer aux arbres.
« Grâce à la prompte intervention de nombreuses personnes, on est parvenu après bien des efforts à combattre le fléau et à éviter ainsi un vrai désastre. »
Journal L’Indépendance Belge, 13 août 1911.
Le ciel parfois blanchâtre en raison des fumées et autres poussières, ainsi qu’un air très odorant, certains jours, répandant jusque très loin l’odeur des bruyères et tourbières brûlées, rendaient la chaleur encore plus oppressante.
Analyse détaillée de l'été 1911
Revenons à présent à la climatologie pure. Si l’on y regarde de près, l’été 1911 ressemble dans les grandes lignes à tous les autres grands étés.

Frans Smeers – « Kinderen in de duinen » (1911)
Dès le 4 juillet, le ciel est souvent serein, ou alors peu nuageux avec principalement des cirrus et des altocumulus. Parfois des cumulus se forment, mais ne se développent que localement jusqu’au cumulonimbus orageux. Il s’agit alors d’orages monocellulaires, dits aussi « orages de chaleur », qui ne durent pas longtemps et qui ne sont pas très violents. En d’autres termes, on est le plus souvent dans un régime de sécheresse.
Les quelques perturbations qui essaient malgré tout de pénétrer en Europe occidentale se dessèchent littéralement au-dessus de nos terres surchauffées, sans donner la moindre goutte d’eau. Il n’en reste alors que des stratocumulus et des altocumulus, parfois accompagnés de cumulus (fractus) qui rendent très temporairement le ciel nuageux ou couvert. Localement, un cumulonimbus s’y fourvoie, donnant une averse voire quelques coups de tonnerre. Ce sont les rares moments où il fait un peu plus frais.
D’autres fois, le restant de la perturbation ne se manifeste que par un ciel voilé de cirrus et cirrostratus, avec un petit coup de vent marquant le passage du front. Alors aussi, on perd quelques degrés, temporairement.
Sinon, le manque d’eau devient affolant, plus particulièrement dans les zones « épargnées » par les quelques averses ou orages. Notamment le centre et le centre-ouest du pays connaissent des cotes udométriques inférieures à 5 mm pour tout le mois de juillet.
En août, rien ne s’arrange, les orages tendant même à disparaître complètement. La sécheresse prend plus d’ampleur encore. Cette fois-ci, c’est le nord de la Campine qui est particulièrement touché, avec 2 mm d’eau seulement sur tout le mois. Et non seulement les pluies se font rares, mais aussi l’humidité de l’air est en chute libre : certains jours, elle tombe même en dessous des 20%, valeur rarement atteinte en Belgique.
Notamment du 7 au 14 août, le ciel reste serein des jours et des jours, et quand un petit nuage s’égare, c’est souvent un cirrus ou un petit banc d’altocumulus. Avec la sécheresse qui s’accentue, les cumulus se font plus rares et ne reviennent vraiment qu’en dernière partie du mois d’août.
La première moitié de septembre reste particulièrement sèche aussi avec, là, des taux d’humidité qui descendent à Uccle jusqu’à 13%. Les nuages, alors, se font plus rares encore, et seuls des cirrus apparaissent de temps en temps. Vers le 12 septembre, le remplacement de l’anticyclone par une nouvelle cellule s’accompagne à nouveau de stratocumulus et d’altocumulus. Ceux-ci, désormais, ne se dissipent plus complètement et finissent par mettre un terme à la canicule de 1911.
Voyons tout cela plus en détail.
20 au 23 juillet 1911
Après deux bouffées de chaleur, encore assez modestes, qui se sont produites plus tôt au mois de juillet, la chaleur nous revient dès le 20 et, cette fois-ci, sous une forme beaucoup plus intense. En effet, le 20 juillet, les températures atteignent déjà 26-27°C un peu partout tandis que le 21 juillet, les 30°C sont dépassés en de nombreux endroits, avec par exemple 31°C à Liège et 32°C à Maaseik. Cette phase de la chaleur s’accompagne de vents de sud-ouest encore quelque peu humides et de passages nuageux.
Le 22 juillet, la combinaison d’un anticyclonique sur l’Europe centrale et d’une dépression entre l’Islande et l’Écosse nous place dans un flux de sud-sud-ouest encore plus chaud. Les températures atteignent le plus souvent 32 à 34°C en plaine, et dépassent les 30°C même au littoral, sauf très près de la mer, où l’on reste sous les 30°C. En Campine, un petit orage de chaleur éclate le soir près de Maaseik.
Le 23 juillet, de l’air très chaud reste présent sur le sud et l’est du pays pendant qu’une nouvelle cellule se prépare déjà sur l’Atlantique. Là où le vent souffle encore de sud-est, l’air est aussi particulièrement sec et les maxima s’envolent. On mesure 35°C à Liège, à Maaseik et à Denée-Maredsous. En Gaume, on monte même jusqu’à 36-37°C.

Le Globe Illustré, 1911
Sur l’ouest, la nouvelle cellule nous envoie des courants plus humides et moins chauds. Ces courants, en combinaison avec la brise de mer, affectent rapidement le littoral, puis se propagent lentement sur l’intérieur des terres.
Comme les eaux de la Mer du Nord sont encore froides, la côte belge connaît une véritable fraîcheur, avec 19 à 20°C seulement. Au centre du pays, ces courants d’ouest atténuent un peu la chaleur, mais il fait quand même encore 31°C à Bruxelles. À l’est du pays, il faut attendre jusqu’au soir pour un brin de fraîcheur. Ici et là, cet air (un peu) plus frais est précédé par quelques petits orages, éclatant le soir sur la Campine et la nuit sur la Gaume.
24 au 25 juillet 2011
Le nouvel anticyclone nous envoie de faibles vents du nord, qui viennent se perdre dans le marais barométrique qui règne à présent sur le continent. En outre, une petite baisse de pression en altitude est favorable à une modeste activité orageuse.
Le rafraîchissement lié aux vents du nord n’est vraiment perceptible qu’au littoral, où les températures, à nouveau, ne dépassent pas 19 à 20°C. Ailleurs, l’humidité rend l’air chaud particulièrement insupportable, malgré les quelques degrés perdus au thermomètre. Si le 24, on ne note « que » 25 à 27°C, les températures repartent à la hausse dès le lendemain dans l’air stagnant, pour rapidement à nouveau flirter avec les 30°C à l’est du pays. Quant au sud du pays, il est à peine touché par cet air maritime. Le 24, on y est encore complètement dans l’air chaud avec 31°C. Le 25, alors que les températures remontent ailleurs dans le pays, la température baisse à Arlon tout en restant à un niveau élevé.
Cette stagnation de l’air chaud, associé à ce petit apport d’humidité, est favorable aux orages sur la moitié est du pays. Mais aucun d’entre eux ne présente un caractère violent. Quelques averses un peu plus fortes sont cependant observées sur le nord de la Province de Liège et sur le sud de la Province du Luxembourg.
26 au 29 juillet 1911
Le nouvel anticyclone se décale à son tour vers l’est, replaçant notre pays dans de l’air extrêmement chaud avec des vents d’est à sud-est. L’humidité résiduelle permet cependant la formation de l’un ou l’autre orage, cette fois-ci plus violent.
Dès le 26, les températures atteignent à nouveau les 30°C un peu partout dans le pays, pour largement dépasser ce seuil le 27. Presque toute la Belgique connaît à présent 4 à 5 jours de canicule consécutifs (et même six sur l’extrême sud du pays).
Le soleil est de plomb et l’air reste longtemps chaud, même le soir. La nuit du 27 au 28, le thermomètre ne descend pas en dessous de 22°C à Liège et à Bruxelles. En altitude, l’air est bien plus chaud encore. À Paris, quasiment au sommet de la Tour Eiffel (à 302 mètres au-dessus du sol), la température oscille constamment, la nuit, entre 25 et 28°C (28°C à 21h ; 26°C à 00h ; 25°C à 03h et 28°C à 06h), et les températures en altitude n’auront été guère différentes au-dessus de la Belgique. Sur les plateaux hesbignons, brabançons voire ardennais, il n’est pas exclu que les minima aient été encore bien supérieurs aux 22°C de Liège (Cointe) et Bruxelles (Uccle).
En tout cas, le 28, le temps est chaud dès le matin et, l’après-midi, les températures atteignent 34 à 35°C en plaine, sauf près de la mer (25°C au port de Dunkerque, mais 30°C à l’orphelinat de Mariakerke, situé à quelques centaines de mètres de la mer).
Sur l’est du pays, il fait particulièrement lourd, avec un ciel plutôt nuageux et des températures de 35 à 37°C.
Sur le sud du pays, le temps est un brin moins chaud. La survenue rapide d’orages, dès le milieu de la journée, limite la température à 31-33°C en Gaume. Ces orages se déplacent vers la Hesbaye et le pays de Herve (milieu d’après-midi), puis vers l’est de la région d’Anvers (fin d’après-midi). Ce sont les seuls orages à caractère violent, avec de fortes rafales et de grêlons ayant parfois la taille d’œufs de poule, comme à Bovigny.
Le 29, les vents d’est à sud-est ramènent aussitôt le temps estival, avec toutefois un peu d’humidité laissés par les orages de la veille. De ce fait, l’air est particulièrement étouffant avec à nouveau 33°C à 35°C en plaine. Cette fois-ci, la chaleur arrive même jusqu’à la côte, où l’on relève des températures presque aussi élevées qu’à l’intérieur (29°C au port de Dunkerque, 34°C à l’orphelinat de Mariakerke).
30 juillet au 3 août 1911
Un bon ancrage de l’anticyclone sur la Scandinavie ramène de l’air un peu moins chaud. Malgré cela, les températures restent la plupart du temps supérieures à 25°C en journée et dépassent encore occasionnellement les 30°C.
Une certaine activité orageuse se maintient sur notre pays, mais en raison du caractère localisé, la sécheresse n’est pas vraiment interrompue. On notera toutefois un exemplaire assez violent sur l’extrême ouest de la Belgique dans la nuit du 30 au 31 juillet. Cet orage, probablement de type MCS, remonte de la France et traverse la Flandre Occidentale du sud au nord. Cet orage est considéré comme exceptionnel par sa longue durée, sévissant durant 5 heures et 30 minutes. On constate de nombreux dégâts liés à la foudre ou au vent, mais les fortes pluies qui accompagnent cet orage restent, elles aussi, localisées.
Depuis le Hainaut, on ne voit déjà plus que les éclairs au loin.
Un autre exemplaire violent touche la Gaume le 1er août avec des précipitations de 48 mm à Étalle et 69 mm à Tintigny. Malgré sa violence, il ne s’agit, là aussi, que d’un phénomène localisé, lié aux hautes températures qui continuent à régner plus spécialement sur le sud du pays.
5 au 6 août 1911
Situation de marais barométrique à nuance anticyclonique, avec faible flux de sud-ouest. Il s’agit des derniers jours un peu humides avant l’arrivée d’une extrême sécheresse. En présence d’une chaleur modérée, quelques orages éclatent encore dans la nuit du 5 au 6, d’abord dans la région gantoise, puis à la limite entre le Hainaut et la Flandre Orientale.

Passe-temps durant l’été 1911 : le jeu de « bourles »
Peinture de Rémy Cogghe, 1911
7 au 14 août 1911
C’est la canicule !
L’anticyclone des Açores, qui n’a jamais été très loin, amène rapidement une cellule anticyclonique détachée sur nos régions le 7. Ensuite le 8, cette cellule se déplace vers le nord-est, puis atteint le sud de la Scandinavie le 9. Les vents s’orientent à l’est et ramènent du continent déjà surchauffé un air de plus en plus chaud et de plus en plus sec.
Presque partout dans le pays débute une période de sept jours consécutifs où le thermomètre dépasse allègrement les 30°C. Les 9 et 10 sont le point d’orgue de cette vague de chaleur, avec des températures de 34°C à Bruxelles et jusqu’à 35°C à Liège et en Campine. Le taux d’humidité, à Uccle, tombe en dessous des 20% l’après-midi.
Les journées suivantes sont à peine moins chaudes avec, par exemple, encore 34°C en Campine les 12 et 13.
Autre caractéristique de la période : les soirs restent très longtemps chauds. À Bruxelles en fin de soirée, les températures atteignent encore 25 à 27°C (27°C le soir du 9), avec parfois la petite ventilation d’un vent d’est, mais parfois aussi un air chaud stagnant, rendant la nuit insupportable pour le sommeil. À nouveau, l’air est exceptionnellement chaud en altitude. Au sommet de la Tour Eiffel, les températures ne descendent pas en dessous de 28-29°C la nuit du 9 au 10 août (31°C à 21h ; 29°C à 00h ; 29°C à 03h et 29°C à 06h).

Station météo du sommet de la Tour Eiffel (carte postale du début du 20e siècle)
En surface à Paris (hors de la ville), cependant, la température descend jusqu’à 19°C. Chez nous, c’est pareil : grâce à la grande sécheresse de l’air, la température finit par descendre (légèrement) en dessous de 20°C presque partout. La nuit du 11 ou 12, par contre, la température demeure toutefois supérieure à 20°C par endroit, ce qui est remarquable pour l’époque. Et à nouveau, l’air est fort chaud en altitude, même si c’est un peu moins que la nuit du 9 au 10).
Enfin le littoral ne bénéficie que partiellement de la fraîcheur maritime. Les 8, 9 et 12, le littoral partage avec l’intérieur des terres la canicule avec des températures supérieures à 30°C (33°C à Mariakerke le 12). Par contre, les 10, 11 et 14, la brise de mer est bien développée (respectivement 23°C, 26°C et 22°C à Mariakerke).
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Ostende, juillet 1911 (Hulton Archive)
15 au 17 août 1911
On respire enfin !
Le lent retrait vers l’ouest des hautes pressions, depuis la Scandinavie vers les îles Britanniques, place temporairement nos régions dans des courants septentrionaux.
Les températures maximales, sous un ciel souvent nuageux (probablement un mix de cumulus et de stratocumulus), sont en chute libre avec des valeurs le plus souvent comprises entre 19 et 22°C. Avec le vent et après une si longue période de chaleur, la sensation de froid est certainement présente chez un bon nombre de personnes. Mais il ne pleut toujours pas. Tout au plus note-t-on de petites pluies le 16, ne donnant que 1,1 mm à Uccle. Il s’agit par ailleurs des premières précipitations qu’on y observe, après 21 jours de sécheresse !
18 août 1911
La chaleur revient déjà !
Sous la poussée de l’anticyclone des Açores, en position plus méridionale que le précédent anticyclone, l’air chaud nous revient avec à nouveau 27°C en bien des endroits.
La suite des événements
L’été n’est pas fini, loin de là. La chaleur reprend du poil de la bête, avec des températures souvent supérieures à 25°C, voire même supérieures à 30°C et ce, jusqu’au 13 septembre.

Carte postale : la place Louise à Bruxelles, 1911
Dès le 20 août, la température frôle à nouveau les 30°C à Arlon. Le 28 août, les 30°C sont même dépassés en de nombreux endroit de l’est de la Belgique. Le 2 septembre, c’est pratiquement tout le pays qui est au-dessus de 30°C, avec l’incroyable valeur (pour l’époque) de 33°C à Liège, tandis que Furnes, non loin de la mer, monte à 32°C (Uccle : 31°C). Le 3 septembre, c’est Arlon qui connaît 32°C. Et ce n’est toujours pas fini !
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La persistance de la sécheresse maintient les feux de tourbe dans les Hautes-Fagnes
(Liège Université – Station scientifique des Hautes-Fagnes)
Le 7 septembre, Arlon atteint à nouveau 30°C. Le 8 septembre, une nouvelle fois encore, presque tout le pays dépasse 30°C. À Liège, il refait 33°C et à Furnes, il refait 32°C pendant qu’Uccle monte à 31°C. Le 9, l’est du pays connaît un nouveau jour de canicule avec 32°C à Arlon et à Spa, et encore 30°C à Liège.
Le 12 septembre, Ostende atteint 30°C tandis que Liège remonte à 31°C. Et pour clôturer, on relève encore 29°C à Liège et à Maaseik le 13 septembre, mais Uccle, sous l’influence d’une nouvelle bulle anticyclonique (la dernière) connaît déjà un bien agréable 25°C.
Le tout, dans un contexte de sécheresse presque absolu. Les maigres précipitations de la fin août (2 jours seulement avec une bonne quantité) n’ont pas fait le poids, une nouvelle longue période sans pluie s’est installée : pas une goutte à Uccle entre le 29 août et le 12 septembre. Résultat des courses : l’air s’est desséché de façon extrême. 13% d’humidité relative à Uccle, même l’été 1976 n’a pas réussi à faire ça !
Cette sécheresse entraîne quelques très gros écarts de température entre le jour et la nuit, comme par exemple le 12 septembre :
Ostende : 13°C/30°C
Furnes : 7°C/31°C
Maaseik : 5°C/29°C
Spa : 6°C/29°C
Le 14 septembre 1911, de l’air maritime beaucoup plus frais, acheminé par une circulation de nord à nord-ouest, met un terme définitif à la canicule de 1911. Pour la sécheresse, il faut encore attendre un peu. Le 19 septembre, il y aura enfin de l’eau pour tout le monde, et en abondance. Le dernier jour du mois, on connaîtra même une véritable tempête d’automne, accompagnées de fortes pluies, dépassant parfois les 40 mm (Uccle : 40,7 mm). Dorénavant, la sécheresse de 1911 appartiendra, elle aussi, au passé.
Conclusion
1912, l’été d’après, sera pourri. Et il y en aura plein d’autres, des étés pourris, après 1911. On est loin encore des grands changements climatiques du 21e siècle. Mais quelque chose a changé quand même : les longues périodes caniculaires ont commencé à exister à cette époque-là. Et leur période de retour, petit à petit, deviendra de plus en plus courte. 1921 sera à nouveau un été fort chaud et surtout très sec, puis 1947 et 1976, malgré une répartition un peu différente, seront du même ordre de grandeur que 1911.
Bien sûr, cela n’empêchera pas encore Jacques Brel de chanter : « Avec des cathédrales pour uniques montagnes, et de noirs clochers comme mâts de cocagne, où des diables en pierre décrochent les nuages, avec le fil des jours pour unique voyage, et des chemins de pluie pour unique bonsoir, avec le vent d'ouest, écoutez-le vouloir, le plat pays qui est le mien. »
La Belgique, au 20e siècle, est bel et bien encore un pays du nord, mais déjà un peu moins qu’au 19e siècle. Et durant le dernier quart du 20e siècle, les été chauds et ensoleillés commencent même à se multiplier. Sept années après 1976, nous avons déjà l’été très chaud de 1983, puis ceux de 1994 et 1995. Les hivers, dans ces années-là, peuvent cependant encore être froids. Nous avons 1985 (janvier et février), 1986 (février), 1987 (janvier), 1991 (février) et 1996-1997 (fin décembre et début janvier, dernière période de 30 jours < –3°C à Uccle).
Durant le premier quart du 21e siècle, les hivers froids se réduisent de plus en plus à d’éphémères coups de froids tandis que les étés ensoleillés et chauds, peu à peu, appartiennent plus à la normale que les étés pluvieux et frais. D’autant plus que les étés pluvieux de 2021 et 2024 ne parviennent même plus à être vraiment frais.
Mais à quoi était lié ce premier petit changement climatique, qui était devenu perceptible dès la fin du 19e siècle et qui, au début du 20e siècle, avait généré le grand été dont il est question ici. Les théories sur le climat sont multiples, et les variations naturelles du climat existent évidemment aussi. Qui n’a jamais entendu parler de la dernière grande glaciation ? Mais il y aussi des variations sur des échelles temporelles beaucoup plus courtes, avec des cycles sur quelques centaines d’années.
Par exemple : la théorie d’Eddy et Bray (voir schéma ci-dessous).

Source : BMCB (Belgische Météo Club Belge)
Nous allons nous contenter, sans entrer dans les détails, de dire qu’il s’agit là de cycles solaires qui influencent directement notre climat. Nous retrouvons sur ce schéma l’optimum climatique de l’Empire Romain, le froid des périodes mérovingienne et carolingienne, l’optimum climatique médiéval et la période froide de la Renaissance, aussi appelée « petit âge glaciaire », et qui s’étend en fait de la fin du Moyen-Âge jusqu’au début de l’ère industrielle. Par la suite, nous entrons à nouveau dans une phase chaude.
Cela signifierait que le réchauffement climatique actuel, d’origine anthropique, viendrait se superposer à un cycle naturel chaud, avec une prédominance du facteur humain sur le facteur naturel qui ne se manifesterait qu’au cours des dernières décennies. En d’autres termes, cela veut dire que les balbutiements du réchauffement climatique, avec notamment les premiers sauts climatiques observés à Uccle au début du 20e siècle, seraient encore d’origine naturelle et que le véritable réchauffement lié à l’Homme n’interviendrait qu’à partir des années 1970, voire 1980.
Une autre théorie veut que le réchauffement climatique d’origine anthropique suive une courbe exponentielle, qui serait imperceptible au début, puis qui commencerait à se faire remarquer dans les statistiques par une rupture dans les séries temporelles. Dans notre partie du monde, cette rupture apparaît dès la fin du 19e siècle, et dans le reste du monde, elle apparaît au plus tard dans les années 1920 ou 1930. Selon cette théorie, le réchauffement climatique commencerait dès le début de l’ère industrielle, d’abord très lentement, puis de plus en plus vite.
Si de nos jours, vu l’amplitude du phénomène, il apparaît clairement que l’Homme est au moins en grande partie, si pas tout à fait responsable des changements climatiques, la chose est moins claire pour la première phase de ce réchauffement, qui peut tout aussi bien être naturelle qu’anthropique.
Quoiqu’il en soit, tout changement a irrémédiablement un effet sur la circulation atmosphérique générale, et notamment sur le vortex polaire et le jet-stream.

Source : Daily Science, « Inondations de juillet 2021 : le début d’une longue série ? »
Commençons tout de suite par dire : un vortex polaire et un jet-stream qui soient toujours stables ou non, cela n’existe pas. Ce qui veut dire que les phénomènes climatiques extrêmes se sont toujours produits, de tout temps. Ce dont il est question ici, c’est de tendances et de fréquences. Et là, nous pouvons dire que plus la différence de températures entre le pôle et les latitudes plus basses est grande, plus le vortex polaire tendra à être stable et le jet-stream, rectiligne.
Et quand cette différence est-elle la plus grande ? Pendant une période globalement froide, car en raison de l’extension des glaces et de l’albédo qui en résulte, le pôle se refroidit plus fort que le reste de la Terre. Et en cas de réchauffement, c’est juste l’inverse : les glaces diminuent et l’albédo diminue, ce qui fait que le pôle se réchauffe plus vite que les autres régions de notre planète. La différence de température entre le pôle et les plus basses latitudes devient moindre et de ce fait, le vortex polaire devient moins stable et le jet-stream ondule plus souvent. C’est ce qui provoque les situations de blocage récurrentes de ces dernières années, avec à la clé des périodes anticycloniques très sèches qui peuvent passer sans transition à des périodes dépressionnaires (creux) particulièrement pluvieuses.
Mais des fluctuations, même si elles sont de moindre ampleur, se sont déjà produites avant et ont influencé le climat au cours des cycles décrits ci-dessus.
Pendant le petit âge glaciaire, on peut s’imaginer que la circulation était souvent zonale, c’est-à-dire, chez nous, avec des vents qui soufflaient souvent d’ouest, nous apportant le plus souvent de l’air purement maritime. En hiver cependant, cette circulation descendait souvent plus bas en latitude que de nos jours, ce qui nous plaçait alors du côté « polaire » avec régulièrement des hivers rudes à la clé.

Pieter Brueghel l’Ancien – « Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux » (1565)
Aux autres saisons par contre, nous étions en plein dans la circulation zonale, avec notamment des été frais et pluvieux à la clé, mais généralement sans excès dans les quantités de précipitations.
Bien sûr, les périodes chaudes existaient déjà, et exceptionnellement aussi de grands étés. 1540, « het Grote Zonnejaar », en était un exemple. Mais après, le plus souvent, il fallait attendre plusieurs générations pour qu’un tel événement se reproduise.
Dans la période climatique d’avant, celle de l’optimum médiéval, il faisait un peu plus chaud, ce qui suffisait déjà pour rendre le vortex polaire et le jet-stream moins stables. Les étés chauds et ensoleillés étaient donc plus fréquents, si bien qu’on pouvait cultiver du vin jusqu’à des latitudes fort septentrionales. Les hivers froids, bien sûr, existaient aussi, mais avaient d’autres causes. Ce n’était en général plus un jet-stream qui circulait trop bas en latitude qui nous valait le froid, mais un jet-stream ondulant, empêchant l’air maritime doux d’arriver jusqu’à chez nous et nous plaçant dans des courants continentaux beaucoup plus froids en hiver.
Après le petit âge glaciaire, la situation tendait de plus en plus vers celle de l’optimum médiéval, avec à nouveau une lente déstabilisation du vortex polaire et la réapparition d’étés caniculaires, avec une période de retour devenant de plus en plus courte. Le dernier quart du vingtième siècle, avec les étés très chauds de 1976, 1983, 1994 et 1995, mais aussi la persistance de coups de froids sporadiques mais intenses, est peut-être celle qui ressemble le plus à l’optimum médiéval.
À partir du 21e siècle, le dérèglement climatique devient beaucoup plus profond, surtout après les années 2014-2015, et cette fois-ci, c’est clairement la main de l’Homme qui en est responsable, même si une petite part, éventuellement, est liée à un cycle naturel. Nous voguons vers l’inconnu. Il n’y a désormais plus de période historique avec un changement climatique semblable, de laquelle nous pouvons déduire le comportement du climat. À présent nous devons comprendre ce qui se passe, sans modèle antérieur, en essayant d’anticiper au mieux ce qui nous attend.
Sources
- Site « CLIMAT.BE »
- ORB, « Revue climatologique pour l’année 1911 », par E. Vanderlinden
- Ciel et Terre, « Bulletins du climat de la Belgique », juillet à septembre 1911
- Met Office, « Daily Weather Reports », 1911
- Annales du Bureau central météorologique de France, année 1911, observations
- KBR BelgicaPress, « BelgicaPress » et « BelgicaPeriodicals »
- IRM, « Esquisse climatographique de la Belgique », L. Poncelet et H. Martin
- BMCB (Belgische Météo Club Belge)
- Région de Bruxelles-Capitale, « Inventaire du patrimoine mobilier »
- Cairn.info, « 1911 : un été exceptionnel en Belgique ? » par Godelieve Masuy-Stroobants


